La chronique de Danny : Panem et Magazines

Danny Devriendt (Managing Director d’IPG Dynamic) est de retour au pays. Comme plusieurs dizaines de milliers d’autres Belges, il était bloqué à l’étranger. Il est maintenant en quarantaine. Depuis son huis clos, il nous écrit ceci…

Me voilà prisonnier. Entre des murs de béton. 24 pas de mon fauteuil-lit jusqu’à mon micro-ondes dans la cuisine. 16 pas du micro-ondes à mon trône de porcelaine. Quelque part en haut, il y a une douche de pluie. 17 marches à monter. Inégales. Ça a le don de m’irriter.

Dehors, il y a le jardin. Et juste au-delà, le chaos.

Me voilà prisonnier. Condamné par moi-même. Je suis un danger pour la société. J’ai traversé quatre aéroports en trois jours. Des lieux de perdition où les gens, toussotant et suant, se bousculent et vous halètent à l’oreille. L’agent de la TSA qui se lèche brièvement le doigt avant d’ouvrir mon passeport. L’adolescente qui pantelle dans ma nuque après avoir piqué un sprint pour atteindre la porte d’embarquement. L’hôtesse de l’air qui garde les doigts juste à l’intérieur de mon gobelet. Dans l’avion, je pouvais flairer le virus. Le voir. Le sentir.

Me condamner moi-même, donc, avant d’obtenir mon autorisation pour pouvoir rentrer chez moi. Le juge est sévère. 14 jours. 336 heures. Aucun droit à une remise en liberté provisoire.

Panem et circenses

Le poète romain Juvenalis écrivait dans son Satire X que pour obtenir les faveurs du peuple, il suffit d’assouvir ses besoins les plus superficiels : panem et circenses. Le pain et les jeux du cirque. De quoi manger et se divertir. Deux-mille ans plus tard, c’est toujours d’application. En ces temps difficiles de COVID-19,  cela devient ‘papier toilette et  Internet’. Le papier toilette et les médias sociaux suffiront à notre survie.

Le nouveau cirque s’appelle Facebook. Tik-Tok. Stories. On y voit des gens se fracasser le crâne pour 12 rouleaux de précieux papier. Tout le monde est virologue. C’est la faute des hommes-reptiles. Des socialistes (évidemment), des Illuminati, des Juifs. De l’église. Des étrangers. Des illégaux. De ceux qui viennent de là-bas.  Les bruns foncés, qui volent les tests à l’aéroport. Mais haha, ils meurent. Du virus. De préférence dans les camps avant de s’enfuir. COVID-19 est un fléau de Dieu. Nous sommes trop nombreux. Les gays ont le droit de se marier. Sodome et Gomorrhe. Une punition de Dieu. L’islam. Tous ces virus sous ces voiles. Et ce sont les Américains qui ont l’ont fabriqué. Dans un laboratoire. C’est la faute à Poutine. Et Maggie doit s’en aller, dit Dries.

Ma ligne du temps. Tout ce qui précède a été tiré de 22 posts sur ma ligne du temps et, un peu plus bas, des commentaires. Le cirque version 2020. Sans filtre. Sans mise en contexte. Sans vérification des faits. Car il y a liberté d’expression, monsieur. Dans un jeu de faits doublement checkés, les opinions n’ont aucune importance.

Temps de guerre

C’est la guerre, mon Internet me l’a dit. La guerre contre le virus. Je presse ma tasse de café fumant contre ma tempe. Rafraîchissant. Je regarde à l’extérieur. Des enfants jouent dans la rue. Ensemble. Tandis que les parents bavardent. Ensemble. En temps de guerre, ç’aurait été ‘tous contre le mur !’. Une balle dans la tête. Haute trahison, monsieur. Mettre en péril des civils. Consciemment. La bataille du parking du Colruyt. Le siège du Delhaize. Le débarquement dans le Lidl. Notre cerveau affolé, repu de médias sociaux, veut appeler cela une guerre. Je ne vois pas d’orphelins qui n’ont plus de larmes à pleurer errer dans les décombres des quartiers populaires rasés, désespérément à la recherche de leur maman. Je ne vois pas de mamans aux yeux vides, le regard mort, dans des camps de tentes de fortune, tenant des photos d’enfants arrachés par l’ennemi. Pas de pères aux doigts ensanglantés qui demain tenteront de sauver ce qui peut l’être des décombres d’aujourd’hui. Pas de tireurs embusqués. Pas de fils barbelés. Pas de profil bas la face dans la boue dans les tranchées autour de la place du marché.

Pour vaincre cet ennemi, il suffit de siroter son Nespresso, calé dans son fauteuil, confortablement emmitouflé dans son onesie, et de binge-watcher Netflix. Mais même ça, c’est trop demandé pour les vaillantes troupes de notre mère patrie. Les conscrits estiment qu’ils ont le droit d’emmener le virus dans leur seconde résidence. Une connaissance qui s’adonne au golf et au débat dit sur Facebook « qu’ils feraient bien de réouvrir au plus vite le club de golf. Pour la santé publique. » D’autres exigent la tête du virologue Van Ranst. Et celle de Maggie. Ça aussi, c’est écrit dans la Bible. Cherchez le bouc émissaire.

Entre-temps, mon café s’est refroidi. Ceci n’est pas une guerre. C’est de la folie. Un manque de sens civique. Une absurdité.

Pornhub Premium est gratuit. Pour surmonter ces temps difficiles. Du coup, on sait à quoi sert tout ce papier cul. Soupir.

J’ai une idée. Si tous les beaux magazines de ce monde laissaient tomber leur paywall ne fût-ce qu’un bref instant… Remplissons nos canaux de médias sociaux de beaux articles, de délicieuses compositions, d’articles explicatifs, de jolies photos et de chroniques. Nous noyerons toutes ces idioties sous une lame de fond. Le brol et la haine, et la démagogie dangereuse, le populisme facile : aux égouts ! Un Internet magazine, rien que pour une semaine.

Panem et Magazines. On en parlera encore dans deux-mille ans.

Danny-Devriendt Danny Devriendt, managing director IPG/Dynamic

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